Le ciel de Camerone
                        
                        
                        
30 avril 1863. Camerone. C’est le moment privilégié où nous percevons les pulsations de la solidarité légionnaire. Par toute la terre, nous communions à la mémoire de ces 63 hommes qui inscrivirent ce jour-là dans les pages les plus glorieuses de l’Armée française, le courage et le respect de la parole donnée. Dans tous les régiments, dans toutes les associations d’Anciens, nous écoutons au garde-à-vous le récit de ce combat mémorable.
                        
                        
                        
                        
                        
                        Tout y est minutieusement rapporté. Vraiment tout ?
                        
                        
                        
Cette terre lointaine entrée dans la mémoire des hommes est relativement méconnue sur son aspect physique et climatique. 
                        
                        
                        
                        Très modestement, avec les moyens astronomiques du moment, je me suis permis de me transporter dans la nuit du 29 au 30 avril 1863, lorsque la colonne du capitaine Danjou se met en route à la rencontre du convoi.
Camerone est situé à 19° de latitude Nord, c’est-à-dire dans la zone intertropicale.
                        
                        
                        
La piste qu’ils empruntent sillonne au milieu des champs. Relativement plate. D’où leur allure soutenue favorisée par la présence d’une Lune gibbeuse, plus grosse que le premier quartier, mais pas tout à fait la pleine Lune. Ils marchent Nord-Est. 
                        
                        
                        
                        Et pour accompagner ces seigneurs, juste à côté de la Lune, trônent dans le ciel les deux plus belles planètes, Saturne et Jupiter. 
                        
                        
                        
                        Il est à noter que cette conjonction Saturne-Jupiter ne se renouvelle que tous les 20 ans environ. Le resserrement maximum a eu lieu un an plus tôt, en avril 1862. Elles étaient tellement proches l’une de l’autre qu’on aurait pu les voir dans la même lunette.
                        
                        
                        
Dès leur départ, à 01 h du matin, vers le Nord-Est, se lève le grand triangle de l’été composé de Véga, constellation de la Lyre, d’Altaïr, constellation de l’Aigle et de Deneb, constellation du Cygne. Véga, 5eme étoile plus brillante de tout le ciel se plante dans la direction de leur marche. Nul doute que le Capitaine Danjou l’a repérée et s’en sert de guide. 
                        
                        
                        
                        Elle va les amener à Palo Verdé à 07 h où, nous dit le récit, ils s’arrêtent pour faire le café. 24 km accomplis. C’est à ce moment que le Soleil se montre. Tout comme les Mexicains. La terrible journée commence. Et le Soleil va monter très haut dans le ciel puisqu’à midi il culminera à 85 °, presque le zénith absolu.
                        
                        
                        
Pour faire une comparaison, le 21 juin, jour du solstice d’été, ici dans le midi de la France, le Soleil est à 69,5°. 
Laissons le récit du combat se dérouler. Consacrons-nous simplement au chapiteau de la scène, le ciel et arrivons au final. On ne refuse rien à des hommes comme vous. 
                        
                        
                        
Victor Hugo écrivait, un an avant Camerone dans les Misérables : « Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va ». Nos légionnaires sont allés au sacrifice suprême et les quelques survivants vont voir la nuit tomber sur cette terre lointaine, enveloppant ces héros dans un linceul blafard. Tout comme elle avait guidé les premiers pas du matin, la Lune, escortée de Saturne et Jupiter, éclairera de sa pâle lueur le corps de ces hommes. Après que le Soleil a quitté cette scène tragique, juste au-dessus, Vénus, telle une bougie qui veille dans la chambre d’un mort, descendait doucement sur l’horizon.
Et comme c’était un rendez-vous avec l’Histoire, la voûte céleste tout entière s’invita au spectacle. 
                        
                        
                        
                        Présence d’une armée de planètes dans le ciel pour une Compagnie héroïque
                        
                        
                        
J’ai reconstitué le ciel du soir du 30 avril 1863. Quelle ne fut pas ma surprise de constater une richesse astronomique incomparable, comme certainement il en existe peu, sinon pas. Ce n’est pas rare mais rarissime. De l’ouest à l’est, nous recensons le Soleil, Mercure, Vénus, Uranus, Mars et vers l’Est, la Lune, Saturne et Jupiter. Si bien qu’à l’exception de Neptune, tout le système solaire est présent dans le ciel en même temps. 
                        
                        
                        
Personnellement, je ne me souviens pas d’avoir vu dans ma vie d’astronome amateur un regroupement planétaire de cette importance visible d’un seul coup d’oeil. Et je n’ai pas commencé l’astronomie la semaine dernière. Si on y rajoute ces étoiles que sont Sirius, la plus brillante de tout le ciel, Canopus, la deuxième en magnitude, Capella, Régulus, Spica, Aldébaran, Castor, Pollux toutes dans le haut du classement des étoiles les plus remarquables et bien sûr la magnifique constellation d’Orion, fichée au centre du tableau, cela paraît tout simplement exceptionnel. 
                        
                        
                        
                        Cette communion du ciel avec ce fait d’armes légendaire, qui a marqué de son sceau les générations de légionnaires, flirte avec le sacré. Même pour les plus cartésiens d’entre nous, cette configuration du ciel n’est-elle pas troublante ? Chacun pensera selon ses convictions. 
                        
                        
                        
Le convoi était passé. Les Hommes du Capitaine Danjou entraient dans l’Histoire.
Dormez, morts héroïques !